« Je trouve son estomac un peu petit ». Ce sont les premiers mots dont je me souviens, prononcés à l’époque par mon médecin traitant lors d’une échographie de routine, fin du deuxième trimestre. « Je vais devoir transférer ton dossier à Sainte-Justine. » Et c’est là que tout a commencé.
Une troisième grossesse surprise, à moins de six mois de la naissance de notre deuxième enfant, avec un plus vieux de tout juste 4 ans, alors que je me trouvais pleinement investie dans mes études en droit à l’approche des examens du Barreau. La suite s’annonçait corsée.
« Nous suspectons une atrésie de l’œsophage », sont aussi des mots dont je me souviendrai toute ma vie. Le souffle coupé, le cœur qui bat la chamade. Ça aussi, c’est très clair dans mon esprit.
D’autres anomalies sont souvent associées à l’atrésie de l’œsophage, apprendrais-je en cours de route. « On a décelé quelques particularités sur son petit cœur. Rien de trop inquiétant, mais il nous faudra investiguer davantage à la naissance, disons vers un mois de naissance? », me dira le sympathique cardiologue, avec douceur, adresse et professionnalisme.
Je me souviens des suivis serrés, du stress qui, insidieusement, faisait son lit, pour s’installer et ne plus jamais repartir. De la volonté de vouloir garder le sexe du bébé une surprise, malgré tout. De mon ventre, immense parce que trop plein de liquide amniotique, indice probable d’un blocage au niveau de l’œsophage.
Je me souviens de la peur. Peur de ce diagnostic qui m’était inconnu, peur de l’avant et de l’après, peur qu’un diagnostic en cache un autre, plus important cette fois.
Je me souviendrai toute ma vie de notre rencontre avec la généticienne. À 35 semaines de grossesse, à refaire notre arbre généalogique, à remonter le temps à la recherche de quelconques antécédents médicaux.
Puis de notre rencontre avec l’équipe traitante merveilleuse qui nous accompagnerait dans la naissance de Louis-Georges et tout au long de sa première année de vie. Des infirmières, l’équipe chirurgicale affiliée à la clinique externe de l’atrésie de l’œsophage, avec à sa tête la Dre Aspiro, des cardiologues, pneumologues, la nutrionniste, Claire, le gastro-entérologue, le Dr Faure, l’ORL, pour ne nommer que ceux-ci.
À ce moment, mon ventre est tellement trop gros que j’en suis théoriquement à 43 semaines de grosseur utérine. Assez gros pour accueillir des triplets, et beaucoup trop gros pour un seul coco.
« Afin d’éviter un décollement placentaire, il faut drainer le liquide amniotique, mais il y a toujours possibilité que le drainage envoie des mauvais messages, et les risques d’un accouchement avant terme sont non-négligeables », m’explique-t-on lors d’un suivi.
Drainage #1, puis drainage #2. J’avais perdu le contrôle de mon corps, mais j’avais toujours le contrôle de ma tête. Grâce à cette petite équipe. Grâce à la bienveillance du personnel. Dans l’incertitude, les toutes petites attentions prennent beaucoup de place.
Nous avions prévu une date. Mais à 37 semaines de grossesse, la vie en a décidé autrement. Je me souviens de la panique. Des eaux crevées, mais aucune contraction à l’horizon. Du texto envoyé à ma mère en route vers l’hôpital : « je suis vraiment stressée. »
Arrivée à l’hôpital.
« J’aimerais vraiment entendre le cœur du bébé », de lancer à l’infirmière, qui comprend sitôt mon désarroi. Et moi, de comprendre le sien, à l’écoute du cœur de bébé.
« Le cœur bat très lentement, je vais appeler mes collègues, je préfère t’avertir, beaucoup de gens vont entrer dans cette salle ». En l’espace d’un instant, tout s’arrête. Le temps se fige. Battements de cœur à 75, détresse cardiaque, décollement placentaire, hémorragie, césarienne d’urgence, tous des mots qui se sont bousculés l’un après l’autre, en route vers le bloc opératoire.
Est-ce que je respirais encore? J’étais comme figée, ma main bien ancrée dans celle de l’infirmière, comme indélogeable. Mon cœur dans mes tempes. S’il-vous-plait, sauvez mon bébé.
Louis-Georges est né d’urgence, le 10 février 2018, accompagné par une équipe extraordinaire. On me dira plus tard que le destin a fait des siennes, que ce n’était qu’une question de minutes. La vie de Louis-Georges, je la dois à cette merveilleuse équipe. Parce qu’un coup de chance, sans un coup de science, c’est une goutte dans l’océan quand vient le temps de sauver la vie d’un enfant. Sans diagnostic, sans équipement, sans la recherche, le destin se trouve bien mal en point. Et d’autres mamans n’ont pas cette chance.
Louis-Georges a été opéré dans les heures qui ont suivi par le Dr Nelson Piché, chirurgien pédiatrique, puis transporté à l’unité des soins intensifs. « L’opération s’est vraiment super bien passée, toute l’équipe s’est mérité de la pizza », me dira le Dr Piché, avec une bonne dose d’humour. La pizza, gage de réconfort après l’effort!
Nous avons passé près de 10 jours à l’hôpital, à concilier famille et hôpital, à suivre de près l’évolution de notre fils, à s’instruire sur les conséquences concrètes d’un diagnostic d’atrésie de l’œsophage. Nous avons rencontré des infirmières extraordinaires, des parents qui, eux aussi, avaient vécu leur lot de drames, des chirurgiens et médecins exceptionnels.
Et cette infirmière, qui m’encouragera à prendre des photos de mon fils, malgré le tube à oxygène, malgré les fils partout, malgré tout. Elle me dira plus tard que son fils aussi avait reçu ce même diagnostic il y a plus de 20 ans et qu’elle regrettera de ne pas avoir capturé ces moments, par pudeur, par malaise.
Vivre le moment présent. Et profiter de chaque instant. J’ai compris à travers la naissance de Louis-Georges ce que signifiait la résilience, cette force intérieure, cette nécessité de vivre, de se battre, d’être.
J’ai compris que la vie de mon fils, je la dois à Sainte-Justine. Que mon éternelle gratitude ne saurait s’arrêter à de simples remerciements. J’ai commencé par donner à la Fondation, ce qui m’a permis de constater que cet amour des enfants se traduit par l’importance et le grand soin que la Fondation accorde à ses donateurs. J’ai en tête un appel très touchant dans le cadre du Merciothon de la Fondation. Mon Louis-Georges me rappelle aussi chaque jour les efforts concrets qui sont déployés pour la recherche grâce aux dons.
J’ai ensuite décidé de m’impliquer concrètement auprès de la Fondation. Et de fil en aiguille, grâce à Chloé Teasdale, la coprésidente du Cercle de Sainte-Justine, je me suis retrouvée à la coprésidence de la Course pour les enfants RBC, un nouvel évènement de la Fondation qui ne verra malheureusement pas le jour en raison de la crise de la COVID-19.
Mon implication est le reflet de l’importance que j’accorde à la recherche en santé pour les enfants, et cet investissement personnel est pour moi une belle façon de donner au suivant, de rendre hommage à cette belle et grande institution et de me rappeler que la vie de Louis-Georges, c’est le plus beau cadeau qui soit, et ça, c’est à Sainte-Justine que je le dois.
*Les propos tenus dans cet article n’engagent que la personne signataire et ne doivent pas être considérés comme étant ceux de la Fondation CHU Sainte-Justine.