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J’aimerais te dire

Ma fille, voilà maintenant des années que les traitements se suivent et se ressemblent, que je ne me rappelle même plus de la date exacte où ce cauchemar a commencé. On dit souvent que le temps fait bien les choses, qu’il permet aux cœurs brisés de panser leurs plaies, en surface, du moins.

Ma fille, j’aimerais commencer par te dire que parfois, je ne me reconnais plus. Une partie de moi m’a quittée pour toujours. Trop de souffrances, d’injustices, d’impuissance. Alors, pour survivre, je fonce, tête baissée. Je te dis souvent de regarder le bon côté des choses, de rester positive envers et contre tout. Quand on t’insère les aiguilles dans ton cathéter et que tu as peur, je te rassure, je te tiens la main, je te caresse les cheveux, je t’embrasse. Mais au fond, je suis toujours aussi bouleversée que la première fois, mais ça, tu ne le sais pas. On ne s’habitue jamais à voir son enfant souffrir, subir ce que nous aurions dû subir.  

Combien de fois ai-je supplié le ciel de pouvoir prendre ta place? Quand je vois tes infirmières, préposés, réceptionnistes, t’accueillir chaleureusement, prendre le temps de te parler, de te sécuriser, demander de nos nouvelles malgré un horaire chargé, alors, je me dis que je peux reprendre mon souffle pendant ces quelques heures à tes côtés. Parfois, je me sens coupable de ne pas t’écouter parler de tes passions autant que je le voudrais : les animaux et les Pokémons.

Combien de fois ai-je supplié le ciel de pouvoir prendre ta place?

Vois-tu, je suis souvent perdue dans mes pensées, dans mes lectures, dans les airs que j’écoute. C’est plus fort que moi. Au fond, je fuis peut-être quelque chose, comme une réalité qui me fait encore tellement souffrir. Je me sens fatiguée et usée. De ton côté, tu t’es si bien adaptée à ta nouvelle vie aux côtés de la maladie. Sache que je t’admire beaucoup pour cela, car j’ai encore pas mal de chemin à faire à ce sujet. Comme on dit, lentement, mais sûrement…? 

Pendant tes traitements, j’aime te regarder dormir paisiblement. Tu sembles si bien. J’écoute les bruits de l’hôpital, le son des pompes à solutés, des machines à pression, des allées et venues des infirmières. Je pense souvent au moment où nous allons pouvoir quitter ta chambre et retrouver la maison, ton frère, ta sœur, papa, tes grands-parents et notre chienne adorée. 

Ma routine est installée depuis longtemps à l’hôpital Sainte-Justine. Dès que tu es endormie en raison de l’effet des médicaments, je vais me chercher ce que je préfère le plus, un bon café chaud! C’est vraiment réconfortant… Mais avant, nous prenons le temps de faire notre selfie traditionnel en riant aux éclats devant le personnel soignant qui rit avec nous.

Comme tu le sais, je te ramène toujours ta galette à l’avoine du petit casse-croûte, celle que tu savoures sur le chemin du retour. En attendant que les trois bouteilles contenant les anticorps qui te permettent de rester stable soient transfusées dans ton sang, j’en profite pour parler à d’autres parents qui vivent probablement une situation semblable à la nôtre. On dirait que cela rend les traitements moins longs et plus humains.

Tu ne le sais peut-être pas, mais au travail, je parais toujours souriante, forte, dynamique. Je trouve que dire « bonjour » le matin et « au revoir » le soir à mes collègues est important et dire merci, être reconnaissante, l’est tout autant. Penser à toi, ton frère, ta sœur, à ton papa, à votre résilience, me permet de faire face à des journées plus difficiles, car il y en a, évidemment. Même entourés, on peut aussi se sentir tellement seuls…

Ma chérie, j’aimerais aussi te dire que quand, parfois, je dis à papa que je n’ai pas l’énergie de t’accompagner à ton traitement et que tu m’entends, ce n’est pas contre toi. Ce n’est pas que je ne t’aime pas. J’ai simplement besoin d’avoir un peu de répit, de pouvoir continuer à panser mes plaies, loin de l’hôpital et des souvenirs douloureux qui font trop souvent irruption dans ma mémoire.

Bien entourée de mes enfants Maude, Mathieu et Maëlle

Enfin, Maëlle, sache que je t’aime, que je vous aime, d’un amour si grand qu’il ne se décrit même pas avec des mots. Même si on n’oublie jamais tout ce que l’on a vécu, rien ne nous empêche de rire, d’aller travailler, de nous amuser, de sortir, d’aller courir. Suis-je heureuse? Oui, je suis heureuse. Le bonheur, au fond, c’est simplement d’être avec vous. Comme l’a si bien écrit Anna Gavalda, « ils ne demandaient rien d’autre que d’être heureux ensemble. Même pas heureux d’ailleurs, ils n’étaient plus si exigeants. D’être ensemble, c’est tout. »

Maman xxx

*Les propos tenus dans cet article n’engagent que la personne signataire et ne doivent pas être considérés comme étant ceux de la Fondation CHU Sainte-Justine.

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