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Portés par la Maladie d’amour

Il n’avait que trois mois. Notre deuxième enfant. Saguenay-Lac-St-Jean. Une région à cinq heures de Montréal quand tu t’y rends, surexcité, pour prendre l’avion et quitter pour un tout-inclus au Mexique. Une région à l’autre bout du monde lorsque tu décides d’y aller par instinct, parce que tu t’inquiètes pour l’état de santé de ton enfant et que tu doutes du diagnostic que les professionnels locaux viennent de te donner.

« Les petits mouvements qu’il fait sont étranges, mais probablement causés par son reflux gastro-oesophagien. Lorsqu’il se replie légèrement vers l’avant, c’est probablement signe d’une douleur désagréable, mais ça ne semble pas majeur. Vous pourriez voir votre médecin de famille de la semaine prochaine, pour être bien certains que tout est correct. »

Nos proches tentaient aussi de nous rassurer. Pourtant, ce soir-là, ma femme et moi avons pris la décision de prendre la direction du CHU Sainte-Justine, sans savoir à quel point cet établissement de santé et ses professionnels deviendraient dorénavant des piliers dans nos vies.

Un verdict rapide

L’urgence était bondée. De la toux, de la morve, des pleurs. Des parents visiblement préoccupés qui caressaient les cheveux de leur enfant en espérant être de retour rapidement à la maison, avec un flacon qui remettrait leur petite boule d’amour sur pied le plus vite possible.

Étrangement, après avoir montré les vidéos des mouvements faits par notre enfant à l’infirmière au triage, elle ne nous a pas retournés dans la grande salle d’attente, mais a classé Éli-Noam parmi les cas « prioritaires ». 

Et, ce n’était même pas parce que nous arrivions du Lac-St-Jean et que nous étions des parents franchement sympathiques!

Trente minutes plus tard, nous étions dans une salle d’examen. C’est là que la médecin de l’urgence est venue nous assommer d’un coup de masse sur la tête : « Pour moi, c’est clair. Votre enfant fait des spasmes infantiles. Une forme d’épilepsie du nourrisson, particulièrement agressive et difficile à traiter. On va vous garder c’est certain. Plusieurs examens vont être nécessaires, entre autres pour vérifier s’il n’aurait pas de lésions au cerveau et pour débuter une médication. Mais, vous êtes au meilleur endroit présentement. Vous avez très bien fait de venir ici. »

BANG. La Terre a arrêté de tourner et notre univers s’est écroulé à ce moment-là.

Éli-Noam aux soins intensifs

Cultiver l’amour

Aucun parent n’est prêt à accueillir un enfant malade. Je n’étais pas outillé pour y parvenir, ma conjointe non plus. Pourtant, six ans plus tard, lorsque je regarde Éli-Noam et que je prends un pas de recul pour observer où en est rendue notre famille, je ne peux qu’être extrêmement fier du chemin parcouru.

Parce qu’à partir du jour où la Terre a cessé de tourner, nous avons vécu des hauts et des bas (des « très bas », même…), mais nous avons travaillé d’arrache-pied pour qu’elle reprenne sa rotation, en prenant ce qui nous apparaissait comme étant les meilleures décisions et en s’entourant des bonnes personnes.

Les statistiques démontrent que plus de 80 % des couples éclatent suite à l’annonce d’une maladie grave chez l’un de leurs enfants. Une travailleuse sociale nous en a parlé lors de la toute première hospitalisation d’Éli-Noam et dès lors, nous avons convenu, ma femme et moi, que peu importe ce qui allait arriver, nous ferions tout pour être parmi les rares à se faufiler dans les 20 %.

Je suis fier que nous soyons toujours unis, qu’Éli-Noam soit toujours vivant, que son grand frère morde dans la vie et n’ait pas trop écopé de nos trop nombreuses et longues hospitalisations au CHU Sainte-Justine.

Fier de constater que dans la cour arrière de ma famille, malgré les nuages noirs qui ont souvent défilé et qui viennent encore nous menacer de temps à autre, il pousse de l’amour, que nous avons su cultiver minutieusement et que nous récoltons aujourd’hui chaque matin.

La force d’une équipe 

Si nous sommes encore debout aujourd’hui, c’est en partie grâce à la force et à l’inspiration que le personnel du CHU Sainte-Justine a su nous insuffler dès le départ.  

Chaque fois que nous sommes passés par l’urgence, que nous avons eu des suivis, que nous avons été hospitalisés parce que l’épilepsie était hors-contrôle ou parce que les effets de la médication étaient en train de faire flancher tout le corps de notre enfant, il y avait des humains tout à fait exceptionnels pour nous entourer et faire équipe avec nous, pour permettre à Éli-Noam de se relever et à nous de tenir le fort.

Marika, Manue, Jo, Aurélie, Hélène, Virginie, Stéphane, Charbel…

Sans oublier Pauline, cette préposée que nous voudrions tous comme grand-maman, qui nous apportait du sucre à la crème dans des plats Tupperware!

Et tous ces bénévoles et amis qui prenaient la relève pour nous permettre d’avoir des moments de répit afin de garder la tête hors de l’eau. Pourtant, bien souvent, la situation nous dépassait. Nous avons craint à maintes reprises que l’heure d’Éli-Noam ne soit venue (le cas était bien plus complexe que l’épilepsie : Problèmes rénaux, respiratoires, allergie sévère aux protéines bovines, système immunitaire inefficace, etc,). 

Malgré la complexité du dossier, en tout temps, nous avons senti que, comme parents, nous faisions partie de l’équipe de soins et cette philosophie a eu un impact majeur sur nous. 

Si on m’avait dit un jour que j’aurais un enfant branché à une bonbonne d’oxygène et à une machine de gavage pendant que je prenais en note ses crises d’épilepsie sur une plage en plein mois de juillet, je vous aurais assurément répondu que je serais physiquement et psychologiquement incapable de composer avec une telle réalité.

Pourtant, ma femme et moi avons trouvé la force pour accompagner notre petit super-héros : nous venions d’être frappés par la Maladie d’amour!

Et aujourd’hui…

Après avoir tenté une douzaine d’anti-épileptiques ainsi que le cannabis thérapeutique, les crises d’épilepsie font malheureusement toujours partie de notre quotidien. Il y a quelques mois, Éli-Noam s’est fait installer un stimulateur du nerf vague, un appareil réservé aux cas spécifiques d’épilepsie réfractaire qui peut contribuer, à moyen et long terme, à un meilleur contrôle des crises.

En plus de ses différentes spécificités de santé confirmées récemment par une mutation génétique extrêmement rare, notre garçon doit aussi composer avec une déficience intellectuelle. C’est pourquoi il vient de commencer son parcours scolaire dans une école spécialisée, où il pourra aller jusqu’à l’âge de 21 ans, entouré de plusieurs spécialistes. 

Souriant, Éli-Noam a une joie de vivre absolument incroyable!

La maladie a bouleversé nos vies. Nous avons quitté notre région pour nous rapprocher du CHU Sainte-Justine.

Nous nous sommes retrouvés sur des sentiers totalement insoupçonnés et nous avons décidé de tout laisser derrière nous pour rebâtir à neuf. Certes, la maladie a été un facteur, mais nous n’avons pas posé ce geste en réponse à la maladie. Nous avons agi ainsi en réponse à l’amour qui berce notre famille.

C’est l’amour qui nous a soulevés et qui nous a donné la force de le faire. Un amour qui, malgré tous les imprévus, les craintes, les pleurs, les moments de désespoir et d’incompréhension, demeure et grandit.

Chaque jour.

Vous pouvez lire Jean-François Quessy sur son blogue Un gars un père et le suivre sur les médias sociaux.

*Les propos tenus dans cet article n’engagent que la personne signataire et ne doivent pas être considérés comme étant ceux de la Fondation CHU Sainte-Justine.

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