Aller au contenu

Le séisme

En janvier 2011, je venais d’apprendre que je portais la vie. Un grand cadeau, dont je n’estimais pas encore la valeur réelle.

Quelques semaines plus tard, à l’échographie de 12 semaines, j’apprenais que le bébé n’allait pas bien. L’annonce a été un choc. Le bébé était fort, vivant, mais sa condition ne lui permettrait pas de voir le jour. Une interruption médicale de grossesse a suivi à 15 semaines.

Malgré cette rencontre douloureuse avec la maternité, mon désir de devenir mère persistait, et nous avons continué, mon conjoint et moi, à caresser le rêve d’une famille. Nous avons eu raison : l’automne suivant, la vie se logeait à nouveau en moi. Et pas seulement une fois, mais deux! Deux petits garçons verraient le jour l’été suivant. C’était le retour du balancier : on me redonnait en double ce que j’avais douloureusement perdu.

Mon suivi de grossesse à Sainte-Justine s’effectuait de façon rapprochée – grossesse gémellaire oblige – mais tout se passait pour le mieux. 

Jusqu’à ce qu’à 17 semaines, le 9 février 2012, je sente que quelque chose clochait. Direction Sainte-Justine. « Vous perdez vos eaux. » Cette fois, c’était plus qu’un choc, c’était un séisme.

À ce moment précis, j’en ai voulu à la vie. Beaucoup. Je la trouvais injuste, cruelle. Véritable baume sur mon cœur, l’accueil et la prise en charge de mon médecin m’ont apaisée. Dans la tourmente, c’était un grand soulagement.

Échographie d’urgence. La membrane à l’intérieur de laquelle grandissait Emmanuel avait fissuré. Tout de même, le liquide restait suffisant pour assurer son développement. À partir de ce moment, un plan de match a été établi, et les différents scénarios mis sur la table.

J’avais l’impression de me préparer pour la guerre.

J’étais confinée à mon lit, jusqu’à la fin de la grossesse. Mais le risque d’une infection, en raison de la rupture de membrane, planait au-dessus de nos têtes. En plus du stress lié à la situation et à ma condition, je devais accepter que le destin de nos bébés serait à jamais lié : peu importe le nombre de semaines restantes à la grossesse ou le niveau de liquide entourant Emmanuel, si une infection se manifestait, nos jumeaux naîtraient ce jour-là. Ensemble. Le doute et la peur m’accompagnaient tous les jours, sans contrôle sur la situation. Je ne me suis jamais sentie aussi vulnérable que durant ces quatre semaines, alitée.

À 21 semaines, je me suis éveillée en pleine nuit. Mon corps m’envoyait le signal que la bataille devenait difficile… Je me suis alors adressée à eux : Je veux vous connaitre mes petits loups, vous tenir dans mes bras, vous chérir, poursuivre la bataille aussi longtemps qu’il le faudra… Mais je veux surtout que vous ayez une belle vie. Bien que mon désir d’être maman était fort, mon instinct maternel voulait surtout que la vie soit douce pour eux. Je voulais les protéger. 

Le lendemain, comme une réponse à mes mots, l’infection s’est manifestée. Ils avaient pris la décision de partir. 

Ce jour-là, nous savions que c’était la fin. C’est donc pour une dernière fois que nous avons entendu le cœur de nos bébés, à l’unisson, entourés de nos familles. C’était les adieux qui débutaient.

Mon accouchement a été provoqué le lendemain matin. Le 9 mars 2012. Le premier jour de ma nouvelle vie commençait. Celui d’une maman qui savait qu’elle devrait dire adieu à ses enfants en leur donnant… la vie? La mort? L’une n’allait pas sans l’autre à ce moment précis, et nous le savions.

Alors qu’Emmanuel est décédé pendant le travail, Nicolas a eu quelques battements de vie, desquels j’ai pu profiter, collée contre lui. Il s’est éteint doucement, dans les bras de son papa Philippe. Un grand moment pour ce dernier.

Pour quelques heures, le temps s’est arrêté avec nos petits bébés. Ce moment reste gravé à jamais dans notre mémoire et dans nos cœurs. Comme toute naissance, la rencontre avec nos bébés a été un moment unique, privilégié, même si nous devions par le fait même leur faire nos au revoir. Emmanuel et Nicolas ont existé. Le deuil est réel. Complexe, difficile à saisir, mais bien vivant. 

Moi qui, à la base, avais hésité à voir mes bébés – par peur ou par protection peut-être – je remercie encore mon amoureux de m’avoir invitée à aller de l’avant. Car aujourd’hui, ce souvenir est la chose la plus précieuse que je conserve d’eux. 

Sans repères, je suis sortie de l’hôpital le ventre et les bras vides. Avec, dans mes mains, deux petites enveloppes en dentelle qui contenaient ce qui nous restait d’eux : une couverture, des bonnets, de petites empreintes de pieds, des photos… Ces enveloppes sont conservées précieusement dans une boîte, entourées de reliques de leur existence et de nombreuses lettres reçues de nos proches. En cas de besoin, j’y plonge encore aujourd’hui afin de prendre une bouffée d’eux, tout comme un parent respire les cheveux de ses enfants.

Une naissance est un grand rêve qu’on caresse. On s’y accroche, on l’espère, on l’attend, on l’anticipe. Elle n’existe pas encore, mais comme parents, on la projette. Dans nos cœurs, elle est réelle.

À travers cette histoire, l’élément central qui a tout changé est l’accompagnement que nous avons reçu par l’équipe de soins, notamment Dre Sandrine Wavrant. La délicatesse, la douceur, l’écoute, les petites attentions ont eu un effet guérisseur sur notre deuil. 

La vie a pris mes deux bébés, mais aussi ma naïveté et mon insouciance envers la maternité. Si j’ai perdu ces deux facultés, j’ai gagné la conscience du caractère précieux de la santé des enfants et du miracle de la vie. Mon rapport à ceux-ci n’est plus le même.

Malgré le vertige devant une troisième grossesse, nous avons plongé. J’ai mis au monde deux autres enfants, resplendissants de santé – Jeanne et Louis – qui n’auraient probablement pas survécu si Nicolas et Emmanuel n’avaient pas d’abord tracé le chemin.

© Jérémie Battaglia | Enceinte de Jeanne
© Jérémie Battaglia | Avec Jeanne et Philippe, alors enceinte de Louis
Entourée de Jeanne, Louis et Philippe

Aujourd’hui, ma famille est là, avec son passé, son présent et son futur. Le bébé porté lors de la première grossesse, puis Nicolas et Emmanuel, et enfin Jeanne et Louis en font tous partie. 

Ils sont tous bien réels.

Josianne Dicaire

 *Les propos tenus dans cet article n’engagent que la personne signataire et ne doivent pas être considérés comme étant ceux de la Fondation CHU Sainte-Justine.

Prendre soin des parents endeuillés

Avec sa clinique intégrée de diagnostic prénatal et son service d’obstétrique-gynécologie – le plus grand service de grossesse à risque élevé au Canada -, le CHU Sainte-Justine est un centre de référence pour les parents dont l’enfant à naitre vit des complications. Chaque année, à Sainte-Justine, plus de 300 décès de bébés surviennent entre 15 semaines de grossesse et un mois de vie.

Le deuil périnatal est difficile à cerner et à vivre en société. C’est une situation délicate à aborder pour plusieurs. Certains ont l’impression que c’est la durée de la vie de l’enfant qui crée le lien avec ses parents, ou que la perte d’un tout petit bébé peut tout simplement être effacée par la venue d’un autre. Le deuil vécu par les parents est bien plus complexe.
Josianne Dicaire

C’est pour venir en aide à ces parents que le CHU Sainte-Justine a produit une série intitulée «Revenir les bras vides». Financée par la Fondation de la famille Pathy, cette série s’adresse à tous ceux qui ont vécu un deuil périnatal, de près ou de loin.

Ce projet est précieux. Il donne à la fois des avis médicaux, mais également la parole à des parents – ainsi qu’à des proches – qui ont vécu un deuil périnatal. Lorsqu’on traverse cette épreuve, nous avons besoin de repères, de se sentir moins seuls. Lorsque j’ai perdu Emmanuel et Nicolas, je n’ai pas trouvé de ressources qui répondaient à ce besoin. J’aurais aimé voir une série comme celle-ci.
Josianne Dicaire

Faire face au deuil périnatal plonge les parents dans l’isolement. Sous le choc, les bonnes questions ne viennent pas naturellement, les amenant à chercher des réponses sur le vaste web. Dans le but de créer une ressource fiable d’informations pour les parents mais aussi pour les professionnels de la santé d’autres centres hospitaliers, le CHU Sainte-Justine offre maintenant une plateforme web sur le deuil périnatal, aussi financée par la Fondation de la famille Pathy.

À ces initiatives s’ajoutent une de cœur, qui consiste à la remise d’une empreinte des pieds et des mains du bébé. Le cadeau de Juliette, en collaboration avec la Fondation CHU Sainte-Justine, offre ce souvenir aux parents qui seront séparés de leur enfant dû à un décès après le 2e trimestre, et ce, jusqu’à l’âge de 18 ans.  

Je serai à jamais reconnaissante envers le CHU Sainte-Justine, envers Dre Sandrine Wavrant et tout le personnel médical, pour leur expertise, leur présence bienveillante et rassurante. Notre histoire est à la fois triste et heureuse, et les années passées entre ces murs nous ont rapproché de ce qu’il y a de plus précieux : la vie, l’amour et l’empathie. Donner à la Fondation du CHU Sainte-Justine, c’est ma façon de leur dire merci et de pouvoir, à ma hauteur, changer le parcours de parents et d’enfants qui y traversent des épreuves similaires.
Josianne Dicaire
Menu