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18 ans, rêveuse et fatiguée

« Je ne sais pas si j’aurai la force de sortir du lit ce matin. Pas envie d’appeler au travail pour dire que je ne pourrais pas y aller. À peine sortie de mes draps, je repique mes bouts de doigts abimés. »

Pas envie de texter mes mauvaises glycémies à maman, je ne veux pas l’inquiéter. J’avale les dernières doses de mes antibiotiques et je dévore mes envies de faire comme tous ces étudiants qui marchent à reculons vers le cégep. 

J’analyse l’étiquette nutritionnelle de la boîte de céréales sans sucre avec autant de concentration que si j’étais assise à mon cours de calcul différentiel. Je prends mon petit bras avec mes mains glacées et je me place en position de yoga pour piquer là où il n’y a pas de bleus.

Je retourne dans mon lit quand mon chat court derrière moi comme s’il savait que le réconfort était le remède de la journée. Entre trois appels de mon infirmière, j’écris ces quelques lignes que j’ai gardées en mémoire trop longtemps. 

À 18 ans, ce ne sont pas les installations de PICC line qui me dérangent, ce sont les fêtes auxquelles je dois me retenir d’aller parce que je connais l’impact que ça aura sur mon corps le lendemain matin. Ce sont les plans que j’annule parce que je n’ai pas l’énergie, les soirées à l’urgence qui inquiètent maman, mes rêves impossibles (visiter l’Inde), mon deuil d’avoir un parcours scolaire normal, et surtout, de devoir me poser des questions beaucoup trop grandes pour la naïveté que je serais supposée porter. 

« Depuis la dernière année, j’ai l’impression que mon corps se bat sans arrêt contre les vagues et que je commence à avoir de la difficulté à diriger mon navire. Je ne sais pas vers quelle île je me dirige, mais je garde confiance. »

Je reste allongée entre mon lit et celui de Sainte-Justine mais lorsque je ferme les yeux, je m’imagine être exilée. Je suis capable de ravaler les images douloureuses pour les remplacer par des futurs projets qu’un jour, j’aurai la chance d’accomplir. 

Quand je suis hospitalisée et que les soirées où la nuit se fait trop grande, je reste près de Stéphane, mon préposé aux bénéficiaires préféré. Ses histoires de vacances au bord du fleuve me font presque oublier que je tourne les mêmes coins ronds depuis une heure. Entre deux doses d’antibiotique intraveineux, j’ai l’autorisation de sortir de ma chambre seulement si je porte le masque bleu pas très fashion. Il faut dire que ce n’est pas cette contrainte qui m’empêchera de descendre au vieux piano mal accordé du sous-sol. 

À chaque procédure médicale, on me demande de fermer les yeux et de prendre une grande respiration. Puis à chaque fois que l’énorme lumière blanche brûle mes iris, je pense très fort que je suis ailleurs. Mais je pense surtout à toutes les fois où j’ai dû justifier ma condition. Que j’ai dû me battre contre les jugements, les règlements et contre ma volonté de me sentir « normale ». C’est difficile d’accepter cette différence et de l’assumer. 

Malgré les petits et grands drames que cette maladie m’apporte, je veux remercier les gens qui m’entourent car sans eux, je n’avance pas aussi loin.

Maman, lorsque ta main est mon seul repère de réconfort quand j’étouffe dans mes douleurs, tu es le pilier de ma force. Lorsqu’avec toute ta fatigue de maman, tu trouves l’énergie de marcher au froid pour aller me chercher un repas qui me rendra heureuse, tu fais toute la différence. Quand tu m’aides à retrouver la piste, que tu me pousses à prendre toujours encore plus soin de moi, j’y trouve ma force. 

La maman de Camille regarde sa fille dans son lit d'hôpital

Mes amis, mes vrais de vrais amis. Ceux qui comprennent et qui sont derrières peu importe le nombre de visites qu’ils me rendent à l’hôpital. Ceux qui se déplacent malgré tout pour venir jouer du piano avec moi, pour avoir des grandes ou des petites conversations dans les corridors de Sainte-Justine. 

À cette personne qui embrasse mes cicatrices, qui me fait sentir aimée pour qui je suis, celle qui me trouve belle avec mes différences et qui reste là malgré cette vie mélancolique.

Les humains aux grands cœurs qui m’écrivent, m’appellent et me démontrent du support, vous êtes indispensables dans les malheurs et les réussites de ce combat. Parmi vous, l’équipe de Sainte-Justine, dont celle de la clinique de fibrose kystique, ma deuxième famille qui m’a vue grandir.

À cette bénévole, qui par ses histoires, me transporta comme à la maison durant le temps des Fêtes. Qui, à chaque fois, donnait de son temps et de son amour pour que je me sente comme à la maison. 

À ce membre du personnel qui m’a trouvée au vieux piano par un soir du 24 décembre et qui s’est assis avec moi pour me montrer quelques morceaux. Je ne connais ni ton nom, ni le poste que tu occupes, mais ta générosité ce soir-là me marquera à jamais. Merci.

À 6 ans, j’ai dit à maman « j’ai deux ailes dans mon prénom ». Malgré cette citation quétaine de la mini version de moi-même, je crois encore aujourd’hui que chaque épreuve m’amènera à voler plus loin pour vivre mes plus beaux moments encore longtemps. 

*Les propos tenus dans cet article n’engagent que la personne signataire et ne doivent pas être considérés comme étant ceux de la Fondation CHU Sainte-Justine.

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